ELOGE DU CONTRAIRE, essais de GORAN STEFANOVSKI, Editions L’Espace d’un Instant, 2023.

SORTIE en janvier 2023

Traduit du macédonien par Maria Béjanovska

« Je suis fier de notre ténacité. Malgré notre identité détériorée, les mains liées, la bouche bâillonnée, la négation de ce que nous sommes et le morcellement de notre terre, je suis vivant et j’ai soif de la vie. Je sais que j’existe grâce à leur acharnement à vouloir me faire disparaître. Ma ténacité surgit du mortier dans lequel on m’écrase et de la poêle où l’on me fait frire. Ce mortier et cette poêle sont justement les lieux de mon pouvoir. »

« « Selon un vieil adage populaire des Balkans, il est impossible de naître et de mourir dans le même pays. En l’espace d’une vie, la maison te tombera sur la tête et tu devras la reconstruire. « Toujours la même chose ». C’est inscrit, comme une catastrophe naturelle ».

extrait :

« Pendant nos guerres civiles, la chaîne CNN nous a présentés comme des tribus aux noms compliqués et aux habitudes politiques bizarres. Face à cette scénographie se tenaient des journalistes bien élevés et cohérents de CNN, serrés dans leurs chemises impeccables, pour mettre de l’ordre dans le chaos et expliquer le désordre avec un vocabulaire simpliste. Qu’en a-t-il résulté ? Lors des conférences internationales, les intellectuels occidentaux me demandaient souvent en chuchotant : « Que se passe-t-il exactement là-bas ? » En fait, CNN a réussi à clarifier une seule chose : que nous sommes incompréhensibles. « Ne vous fatiguez pas à essayer de les comprendre ! »

« Cette présentation n’est pas correcte et me blesse. Et je sais comment mon esprit réagit quand je suis blessé. Je suis capable, comme on dit, de manger un kilo de sel ! Permettez-moi de changer ici de « vitesse », de m’écarter de mon essai et de me servir d’un monologue théâtral : « Vous croyez que je suis incompréhensible ?! Vous n’avez encore rien vu ! Je vais vous montrer ce que c’est vraiment d’être incompréhensible ! Oui, je sais que je me ridiculise en mangeant du sel devant vous qui hochez la tête en n’en croyant pas vos yeux. Je ne fais cela que pour vous dégoûter ! Et pour me blesser. J’ai appris de Dostoïevski que la seule façon de prouver que je suis libre est d’aller contre mes propres intérêts. Ma femme, protestante, ne comprendra jamais cela. Elle refuse d’accepter cette attitude comme un comportement humain logique. Je suis d’accord avec elle. Mais je ne me conduis ainsi que dans des situations déraisonnables, quand je subis une pression déraisonnable. Seulement quand on me marche sur les pieds. Et maintenant vous me dites encore que je suis un monstre irrationnel ?! Vous qui me flattiez en disant que j’étais généreux, accueillant, chaleureux, au grand cœur ?! Vous dites que mon histoire ne vous plait pas. Vous dites que je devrais la modifier ? Et que si je ne le fais pas moi-même, vous le ferez à ma place ? Vous savez quoi ? Allez vous faire foutre ! Comment changerez-vous mon histoire ? Avec des bombardements ? Avec le Tribunal de La Haye ? Avec une résolution de l’ONU ? Avec la corruption et le chantage ? Avec des Festivals de théâtre ? Je ne crois pas que vous réussirez. Je changerai mon histoire seulement quand je veux et si je veux. Vous ne me trouvez pas sexy ? Et alors ! Comme dit le poète : ‘Nous ne sommes pas beaux mais nous chantons’. Vous avez réussi à me faire grimper sur les barricades ! Et, sachez-le, cette bataille continuera au prochain millénaire. Et à celui d’après ! »

GORAN STEFANOVSKI est né en 1952 à Bitola, en Macédoine. De 1970 à 1974, il étudie l’anglais (langue et littérature) à l’université de Skopje. Dans le même temps (1972-1973), il suit les cours d’études théâtrales à l’Académie de théâtre, fi lm et télévision à Belgrade. Après ses études à la faculté de philologie de l’université de Belgrade (1975-1977), il obtient sa maîtrise ès arts avec une thèse sur le théâtre de Samuel Beckett. De 1974 à 1978, il travaille pour le secteur théâtre de la Radio-Télévision macédonienne. En 1986, il fonde le département d’écriture théâtrale à la faculté des arts dramatiques de l’université de Skopje, département qu’il dirige jusqu’en 1998. Depuis, il a enseigné l’écriture théâtrale et cinématographique au Christ Church College et à l’université du Kent, à Canterbury, et il est intervenu à l’occasion de nombreuses rencontres dans diff érentes institutions internationales : UNESCO, Dramatiska Institutet (Stockholm), Brown University (Providence, Rhode Island, États[1]Unis d’Amérique), etc. Lauréat du prix de la meilleure pièce de l’année au Festival de théâtre yougoslave de Novi Sad en 1980, il est élu membre de l’Académie des arts et des sciences de Macédoine en 2004. Il a été régulièrement membre de jurys de théâtre et de cinéma. Son parcours a été profondément marqué par la chute des régimes communistes en Europe de l’Est et la guerre en Yougoslavie en 1992. Son travail s’est alors orienté vers les questions sociales et politiques en ex-Yougoslavie, et les répercussions qu’elles ont pu avoir en Europe. Goran Stefanovski a ainsi écrit les textes de nombreux spectacles, abordant les thèmes des migrations, des confl its sociaux, de la transition postcommuniste et de l’identité multiculturelle. Un bon nombre de ses œuvres sont des productions internationales, des commandes diverses, représentées à l’occasion d’événements tels que les Capitales européennes de la culture, ou le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, à Stockholm. Elles ont été largement représentées en Europe et en Amérique du Nord, et notamment au Théâtre Dramski de Skopje, au BITEF de Belgrade, au Theater an der Rühr de Müllheim, aux Wiener Festwochen de Vienne, à la Biennale de Bonn ou au Festival d’Avignon. Elles ont obtenu de nombreux prix, notamment au Sterijino pozorje de Novi Sad, en Serbie, et au Festival de Prilep, en Macédoine.

Goran Stefanovski est notamment l’auteur de Jane Zadrogaz (1974) ; La Chair sauvage (1979) ; Vol stationnaire (1981) ; Haute- Fidélité (1982) ; Double fond (1984) ; Les Âmes tatouées (1985) ; Le Trou noir (1987) ; Une longue pièce (1988) ; Les Ombres de Babel (1989) ; Goce (1991) ; Černodrinski revient à la maison (1991) ; Sarajevo (1993) ; Vieil homme portant une pierre autour du cou (1994) ; Maintenant ou jamais (1995) ; Ex-You (1996) ; Bacchanales (d’après Euripide, 1996) ; Ce n’est qu’humain (1998) ; Contes d’une ville (1998) ; Paysage X : Euralien (1998) ; Hôtel Europa (1999) ; Tout un chacun (2002) ; Ulysse (2012) ; Langues de feu (2013) et Figurae Veneris Historiae (2014).

Goran Stefanovski à Paris : rencontre avec ses lecteurs

Il a également écrit de nombreux scénarios, spectacles multimédias, livrets de ballets et d’opéras rock, séries télévisées, drames radiophoniques, pièces pour jeune public, manuels pour l’écriture de scénario, etc. Traduites en quinze langues, ses œuvres sont publiées en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Pologne et aux États-Unis d’Amérique. Maria Béjanovska et Jeanne Delcroix-Angelovska en ont traduit plusieurs du macédonien en français.

Rencontre avec le dramaturge Stoppard

Goran Stefanovski était installé en Angleterre depuis la fin des années 90. Il est décédé à Canterbury en 2018. Hotel Europa, créé en version originale en 2000 aux Wiener Festwochen de Vienne, dans une direction artistique de Chris Torch et une coproduction d’Intercult de Stockholm, a été représenté la même année au Festival d’Avignon, alors dirigé par Bernard Faivre d’Arcier. La version française, Hôtel Europa, traduite de l’anglais par Séverine Magois, a été publiée aux éditions l’Espace d’un instant en 2005, et lue la même année au Studio-Théâtre de la Comédie[1]Française, par Catherine Boskowitz et le Collectif 12, dans le cadre du festival Sud / Est. Le Démon de Debar maalo, traduit du macédonien par Maria Béjanovska, a été publié en 2010 aux éditions l’Espace d’un instant, avec une préface de Philippe Le Moine, puis lu la même année au Théâtre du Rond-Point, par Dominique Dolmieu et le Théâtre national de Syldavie, dans le cadre des « Mardis midi », et enfin créé en 2012 au Théâtre de l’Opprimé à Paris, par la même équipe. Černodrinski revient à la maison, traduit du macédonien par Maria Béjanovska, a été lu en 2012 à la Maison d’Europe et d’Orient, à Paris, par Dominique Dolmieu et le Théâtre national de Syldavie, dans le cadre de « l’Europe des théâtres », puis publié en 2013 aux éditions l’Espace d’un instant, et créé en 2015 à la Maison d’Europe et d’Orient, par la même équipe. La Chair sauvage, traduit du macédonien par Maria Béjanovska, a été lu en 2019 au 100 ECS à Paris, par Dominique Dolmieu et le Théâtre national de Syldavie, dans le cadre de « l’Europe des théâtres ».

REVUE DE PRESSE

Goran STEFANOVSKI s’emploie avec rigueur à retracer la culture de cette Europe de l’est, cette inconnue totale aux yeux des occidentaux. D’ailleurs, souvent cette Europe de l’est est contée et expliquée par celle de l’ouest, par celle qui croyant pourtant la comprendre, la dépeint selon ses propres yeux, avec ses propres préjugés. Lorsqu’un occidental interroge un habitant des Balkans par exemple, c’est avant tout pour savoir comment cet étranger perçoit l’Occident, comment il se place par rapport à cette Europe-là. STAFANOVSKI dénonce, excédé par ce nombrilisme ouest européen. »

 » Avec un ton irrévérencieux et offensif, l’auteur déconstruit les préjugés, les idées toutes faites sur la culture de l’est. D’ailleurs, qu’est-ce qui, chez cet homme, intéresse les habitants de l’ouest ? Son parcours d’expatrié de l’est, « émigré » à l’ouest. Ceci il n’en veut pas, il ne désire à aucun prix devenir une mascotte. D’ailleurs, s’appuyant sur le cas d’un touriste des Balkans en direction de l’ouest, il affiche les difficultés, les obstacles : « Si un artiste de mon pays veut visiter la Grande-Bretagne, il doit d’abord trouver quelqu’un qui lui fera parvenir une invitation officielle, puis il doit envoyer à l’ambassade un exemplaire récent de sa feuille de paye, une copie de son contrat de travail, le solde de son compte bancaire, remplir un formulaire de demande de visa, prendre rendez-vous, se rendre au consulat à l’heure précise, pas une minute avant ou après, passer devant un détecteur de métal, laisser les empreintes de ses dix doigts, une photographie biométrique des yeux, attendre d’être appelé par le haut-parleur, déposer les documents, repartir chez lui, attendre pendant une semaine, et prier ». En effet, la Macédoine ne fait toujours pas partie de l’Union Européenne (11 janvier 2023 Des livres rances)

lire le texte intégral sur:

https://deslivresrances.blogspot.com/2023/01/goran-stefanovski-eloge-du-contraire.html?fbclid=IwAR0z0AvLwk4A28LcJgPRvQBFn-RSjgyIlbB4W0G1NPDqlrUGXnyi40t6BqE

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A propos bejanovska

journaliste - traductrice littéraire
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